Des choses qui se dansent

Le récit d’une étoile passionnément engagée
Fayard
9 février 2022
234 pages
19€
Notre recommandation
4/5

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Thème

Tout commence avec la naissance d’une étoile : le soir du 28 décembre 2016, Germain Louvet reçoit le titre ultime du danseur classique. Enfant, il tournoie au milieu du salon familial, débordant d’énergie et d’imagination dans ses mouvements. A l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, il s’épanouit dans un quotidien réglé comme du papier à musique, qui fait la part belle aux jeux, aux amitiés, aux premières amours et aux histoires en tous genres. Dans le corps de ballet, il continue de gravir les échelons de la hiérarchie, grâce à une exigence permanente : la sienne mais aussi celle des répétiteurs, des maîtres de ballet et de l’institution. Arrivé au sommet, le danseur s’interroge. Comment porter ce titre, symbole d’excellence et de prestige, lorsqu’on veut renverser les codes établis ? Comment concilier cet héritage artistique et culturel avec sa conscience et ses convictions de jeune homme du XXIe siècle ? Comment le défendre lorsqu’il entre en contradiction avec ses valeurs et sa personnalité ? 

Germain Louvet livre une réflexion profonde sur le monde de la danse classique. Stéréotypes, fantasmes, traditions : autant de choses qui se dansent sous la plume de cet artiste passionné et engagé. 

Points forts

Dans ce récit, Germain Louvet se découvre tel qu’il est : un garçon qui danse. S’il revient sur les moments forts de sa carrière (sa nomination d’étoile, son interprétation de Roméo avec sa Juliette Léonore Baulac, sa rencontre avec la grande ballerine russe Svetlana Zakharova…), il dévoile aussi la face cachée du monde du ballet : des lieux (le box d’internat de Nanterre, l’immense scène de l’Opéra Bastille, la structure labyrinthique de Garnier…) mais surtout des personnes, ces hommes et femmes de l’ombre sans qui toute cette machine ne pourrait tourner (habilleuses, maquilleuses, régisseurs de scène, agents de sécurité et de service…). Dans l’intimité des répétitions et des coulisses, c’est une réalité pleine de contrastes qui émerge au fil des chapitres, où rigueur et intransigeance peuvent rimer avec complicité et légèreté. 

Loin de dramatiser son histoire pourtant hors du commun, Germain Louvet déconstruit les mythes : à ceux qui pensent que l’école de ballet est une arène où les élèves se marchent sur les pieds pour évincer la concurrence, il dépeint « une folle farandole » (p.65) qui devient sa seconde famille ; là où beaucoup voient dans son parcours l’accomplissement d’une vocation, il invoque l’opportunisme, une chance qu’on lui a donnée parce qu’il cochait les bonnes cases ; à ceux qui font de sa nomination au rang d’étoile une apothéose, il oppose la banalité des exercices à la barre et des échauffements avec lesquels il renoue dès le lendemain de son couronnement. L’étoile se raconte avec une humilité et un brin d’insolence qui tantôt attendrissent, tantôt décillent. 

Cette mise à nu est l’occasion de soulever le paradoxe de sa position : d’un côté, il y a sa passion, au sens étymologique du terme, pour la danse classique, la scène, l’exploration du corps et du mouvement, et les heures de travail intenses mais jouissives ; de l’autre, il y a les stéréotypes véhiculés par les ballets qu’il doit danser, les méthodes de travail qui viennent « broyer les faibles » (Ghislaine Thesmar), les injustices entretenues par l’institution et dont il est témoin au quotidien. De ce malaise naissent les interrogations qui le tourmentent tout au long de sa réflexion : comment incarner un personnage reflétant un idéal archaïque de masculinité puissante et dominatrice, aux antipodes de ses valeurs et de sa personnalité ? Comment se plier aux exigences de la tradition lorsqu’on veut bousculer l’ordre établi ? Comment revendiquer la diversité dans un temple consacré à la beauté des « arts nobles » ? Ce conflit intérieur, Germain Louvet a le courage de l’assumer et d’en exposer toute la complexité. 

C’est cette honnêteté bouleversante qui donne force à ses critiques : parce qu’il aime profondément la danse, il vient pointer du doigt les failles du milieu qui l’a formé. Aux contradictions qui le traversent, il répond par une authenticité provocatrice. Son but ? Penser la danse classique à la lumière des grands enjeux du monde contemporain. Derrière ses tutus aériens, ses sequins étincelants et autres pointes en satin rose, le ballet est ancré dans le réel, touché de plein fouet par la question des retraites, des canons esthétiques sclérosés, des discriminations silencieuses… Et il peut s’opposer. A l’instar du mouvement social qui avait mené le corps de ballet à se danser sur la Place de l’Opéra en 2019, Germain Louvet élève à nouveau la voix pour mettre la danse sur le devant de la scène et défendre « cette exception [française], à la fois sociale et culturelle » (p.222). Son récit s’achève sur un cri galvanisant, rappelant la nécessité de danser comme on aspire à vivre : libre.

Quelques réserves

Dans les derniers chapitres, Germain Louvet mentionne les mesures de démocratisation prises par l’Opéra afin d’accueillir un public plus diversifié, notamment la réduction du prix des places et le programme « avant-premières jeunes ». Si l’on peut déplorer avec lui l’insuffisance de ces moyens, il faudrait cependant souligner d’autres formes d’ouverture de l’institution, telles que l’adaptation par Clément Cogitore du ballet Les Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau, avec un groupe de danseurs de krump, voguing, hip hop et autres styles de danses urbaines. Certes, ils n’auront fait que passer sur la scène de l’Opéra Bastille, mais leur discours contemporain aura résonné avec force aux oreilles d’un public partagé entre fascination et perplexité. Ces actions concrètes, qu’il faut encourager, restent cependant en marge dans la réflexion du danseur étoile.

Encore un mot...

A travers ce témoignage captivant, Germain Louvet livre une réflexion profonde sur son art. S’il n’est pas la première étoile à prendre la plume pour raconter sa passion, il se distingue par sa sensibilité et son engagement, bien décidé à faire de la danse un hymne à la liberté.

Une phrase

« Comment faire parler cet autre, ce dissident à l’ordre établi, dans le costume de Basilio, de Solor, de Siegfried, de Lucien d’Hervilly, d’Armand Duval, d’Eugène Onéguine ou d’Albrecht ? Peut-être en commençant à parler avec ma propre voix, en m’autorisant à exister sur scène, tel que je suis ». (p.172)

L'auteur

Né en 1993 à Chalon-sur-Saône, Germain Louvet grandit dans un hameau bourguignon, où sa famille est installée depuis plusieurs générations. S’il fait ses premiers pas de danse au son de la chaîne hi-fi du salon, il entre à sept ans au Conservatoire National de Région, puis à douze, à l'École de danse de l’Opéra de Paris. Entre l’internat, le collège et la salle de répétition, il vit au rythme des trajets en RER, des amitiés qui se font et se défont, des spectacles à Garnier ou à Bastille, et des examens annuels de l’Ecole de danse. Engagé en 2011 dans le Corps de ballet de l’Opéra national de Paris, Germain Louvet gravit les échelons un à un, interprète les rôles les plus prestigieux. Le 28 décembre 2016, il est nommé danseur Étoile à l’issue d’une représentation du Lac des Cygnes de Noureev où il incarne le Prince Siegfried. Il est également mannequin pour des photographes et créateurs de haute couture. Ce printemps, on le retrouvera sur les écrans de cinéma, dans le film En corps de Cédric Klapisch, et sur la scène de l’Opéra Bastille, dans La Bayadère.

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