Jean de Miribel : L'aventurier de l'empire céleste

Une vie donnée pour la fraternité entre les cultures
De
Emmanuelle Delagrange
Editions Cerf
Parution le 2 octobre 2025
285 pages
29 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Né en 1919 au sein d'une "vieille famille" de Savoie, Jean de Miribel ne sait pas encore qu'il sera un aventurier infatigable de la fraternité entre les hommes. Ce livre retrace sa vie jusqu'à son décès en 2015. Il épouse les pas d'un homme de foi qui dédiera sa vie entière à l'expression concrète de sa foi en Dieu, par son engagement auprès des hommes et des femmes en quête de spiritualité, si ce n'est d'éveil religieux. Ordonné prêtre ouvrier en 1946, vicaire d'une paroisse parisienne, ouvrier graveur puis réparateur de télévision, il participe au Concile de Vatican II en 1963, avant que son vœu de partir aider les plus pauvres hors d'Europe ne soit exhaussé. Ce sera au Brésil pour la Mission de France avant le grand saut dans l'Empire Céleste, par Hong Kong puis à Xi'an, capitale de l'empire Chinois avant Pékin, capitale de la République Populaire de Chine.

C'est au cœur de ce pays, après avoir appris chinois et mandarin, qu'il conjuguera le communisme chinois avec la pensée chrétienne, et accompagnera sans relâche le rapprochement entre les cultures occidentale et chinoise. Enseignant, travailleur acharné, inépuisable ambassadeur pour aider ses amis chinois, il passera aussi plusieurs doctorats et sera admis, fait rarissime, résident permanent en Chine. Ce semeur de bonté et d'espérance repose aujourd'hui en terre de Chine. Emmanuelle Delagrange, sur la base de ses écrits, des archives familiales et de la Mission de France, d'entretiens en France et en Chine, retrace un parcours vivant, hors du commun et presque centenaire.

Points forts

Appuyé sur les nombreux témoignages recueillis, ce récit nous fait entrer dans la spiritualité bienveillante de Jean de Miribel, autant que dans ses combats pour faire valoir son immersion au sein des classes populaires, aux moments où, en France et en Chine pour la seconde moitié de sa vie, le communisme s'impose comme une autre spiritualité, une autre vision du monde.

Ces débats, en lui-même, avec sa hiérarchie ecclésiastique, avec ses amis de condition modeste autant que célèbres (comme Monseigneur Etchegaray, ou l'astrophysicien Pierre Léna) font une grande partie de l'intérêt de ce livre, en incessants dialogues entre le récit au présent et les archives. 

On y découvre aussi l'engagement et les difficultés des prêtres ouvriers, ordonnés à la suite de la création de la Mission de France en 1941, pour s'investir, comprendre et répondre par l'engagement fraternel à la déchristianisation dans les milieux ouvriers en France. On y vit de  l'intérieur les questionnements d'un jeune prêtre qui préférera une vie de partage à une œuvre de conversion. 

Le récit n'occulte pas les doutes et les polémiques que son respect pour la culture chinoise en particulier, et le régime communiste de façon plus générale, auront suscité de son vivant, sans pour autant nuire aux échanges culturels qu'il saura stimuler dans les milieux étudiants, notamment en médecine et en sciences. 

Le livre comporte aussi un témoignage très fort de François Cheng, de l'Académie française, poète et ami de Jean. 

Il est enrichi d'un cahier central de photos, pour incarner le récit dans son époque et dans ses lieux ; très utilement, quelques pages "de repères" sur la Mission de France, un index des noms cités sont proposés en fin d'ouvrage et des remerciements, toujours intéressants à lire.

Quelques réserves

Attention, soyez attentifs aux ramifications de la famille de Miribel, qui furent, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et cousins, témoins, artisans et complices de son engagement. L'arbre généalogique de la page 269 est plus que bienvenu. Car la famille ne manquait pas de grandes personnalités, comme Elisabeth, devenue femme de lettre et diplomate, après un engagement auprès du Général de Gaulle, dactylographe de l'appel du 18 juin 1940, vie racontée par David Brunat et chroniquée sur Culture Tops.

Plus largement, l'ouvrage fourmille de noms et requiert une petite culture religieuse pour comprendre termes sacerdotaux, hiérarchies religieuses, références évangéliques et le cheminement intellectuel de cet homme de partage. 

Encore un mot...

A la lecture de cet essai, aucun doute que Jean de Miribel fut un aventurier de la foi dans l'empire céleste. A l'image d'un Saint Augustin, d'un Charles de Foucauld ou d'une Mère Theresa, son parti pris anticonformiste d'un don de soi plus que d'un prosélytisme religieux "missionnaire", est une des particularités de son engagement, un enseignement de cet ouvrage.  Il lui valut et lui vaut encore le respect des autorités chinoises autant que de ses proches à Xi'an. Cette biographie très incarnée, vivante, est imprégnée de l'originalité de son "héros", de son regard sans caricature sur la société chinoise et de son engagement interculturel incontestablement précurseur et moderne.

Une phrase

" Jean veut se faire Chinois parmi les Chinois. Il s'immerge dans l'étude de la philosophie et de l'histoire pour mieux s'acculturer. Il est convaincu qu'il ne peut « servir ceux qui ont besoin d'être aimés» sans connaître en profondeur leur civilisation. Avec l'étude du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme, il développe une véritable empathie pour la culture chinoise. Jamais il ne se compare à Matteo Ricci [prêtre missionnaire en Chine impériale au cours de la seconde moitié du XVIème siècle, NDLR], mais à quatre siècles d'écart, les deux figures se font écho. […]

En le [Mattéo Ricci] proclamant vénérable en 2022, le pape François a salué ce « modèle toujours valable d'inculturation du message chrétien dans le monde chinois ». L'annonce de l'Evangile ne peut se faire à marche forcée. Elle n'est pas dissociable de la compréhension de la culture à évangéliser, loin de toute instrumentalisation. Jean est convaincu que l'étranger, chrétien ou incroyant, avant de vouloir donner, doit apprendre à recevoir et à accepter de se laisser transformer.

Jean partage avec Matteo Ricci cette aptitude à entrer dans une forme de pensée structurellement différente. Il va ainsi contribuer à maintenir ouverte entre l'Orient et l'Occident cette porte poussée par son lointain aîné. […]Aux antipodes de la logique cartésienne où un jugement est soit vrai soit faux, la vérité en Chine lui apparaît capable d'allier les contraires, et modulable selon le temps, les lieux et les personnes." P 193 et 194

L'auteur

Emmanuelle Delagrange est agrégée d’histoire et enseigne en classes préparatoires. Elle a vécu en Chine, a contribué à plusieurs ouvrages historiques sur la Chine, notamment sur son passé et ses mémoires - Aujourd'hui la Chine, ou La révolte des couleurs. Son intérêt combiné pour l'histoire et le dialogue entre les cultures l’a amenée à écrire ce livre en 2025, proposant le portrait de Jean de Miribel comme “pont” entre Orient et Occident.

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