Langages de vérité 2003-2020

Un recueil de textes très intéressants sur de nombreux sujets abordés par cet intellectuel accompli
De
Salman Rushdie
Actes Sud
Parution en novembre 2022
389 pages
25 €
Notre recommandation
4/5

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Ensemble hétéroclite de textes écrits par Salman Rushdie couvrant une période de dix sept ans, publié après l’attentat barbare dont a été victime l’auteur en 2022 au terme de trente ans d’appel au meurtre, ensemble qui permet une synthèse de ce qu’est ce grand écrivain, pétri des cultures orientales et occidentales dont il tisse les liens en évoquant avec force leurs plus grands représentants et les mythes et interrogations qu’ils partagent.

Points forts

Salman Rushdie s’interroge tout d’abord à propos de la fiction en général…

A partir de son histoire personnelle, enfant indien à Bombay dans une famille musulmane cultivée et athée, il nous montre la parenté des histoires que l’on raconte aux Indiens musulmans (Narahbadja et les mille et une nuits ), et celles racontées aux Européens et Américains, avec les déformations propres à chacun d’eux, mais avec la constance des thèmes.

C’est un hymne aux histoires de toutes natures pour enfants ou pour adultes qui ont su en garder le besoin.

En Inde ces histoires ne se terminent pas forcément toujours bien. Celles qui finissent mal donnent un message plus percutant que les leçons de morale de nos fabulistes (Esope, Disney…)

On devine alors que Salman Rushdie est fasciné par la fragilité du " réel ", ce qui renforce sa foi dans la fiction et le fantastique mais aussi dans l’art, particulièrement le théâtre et la peinture - on a qualifié son style de " réalisme magique ".

Mais c’est son fils qui a le dernier mot : " toujours des histoires et en plus elles sont même pas vraies " !

Avec les textes suivants l’auteur fait appel à sa culture universelle pour tenter de résoudre le mystère de la vie - Héraclite : " le caractère est le destin " ( fragment 119 ), contredit par l’existence manifeste du hasard - c’est, par exemple, un coup de dés qui ruine la vie du roi dans le Mahabharata.

Puis ce sont des textes autobiographiques où Salman Rushdie revient sur ses études littéraires et sa volonté de devenir écrivain ce qui l’amène à rendre un hommage vibrant à ceux qu’il apprécie le plus : Philippe Roth, Kurt Vonnegut, les romans de Samuel Beckett, Gabriel Garcia Marquez et Cervantès bien sur - son roman " Quichotte " est une reconstitution moderne et américaine de " Don Quichotte de la Mancha " - qu’il évoque en compagnie de son contemporain Shakespeare, celui qui est pour l’auteur la source de tout, poésie et théâtre ; ce théâtre qui tient une grande place dans ses goûts littéraires avec Harold Pinter et Samuel Beckett notamment.

On trouve aussi dans ce livre très riche un remarquable chapitre sur " l’adaptation " : celle qui permet au cinéma de puiser une grande part de ses scénarios dans la littérature, rarement pour le meilleur…mais aussi celle qui a permis à ce garçon indien de treize ans, tombé brutalement dans un horrible collège anglais loin de toute famille, de devenir un des plus grands intellectuels anglo-saxons de son temps.

Quelques réserves

Si l’auteur maîtrise parfaitement les littératures anglo-saxonnes et indiennes, il semble, d’une manière générale, moins en harmonie avec la littérature française et européenne qu’elle soit classique ou contemporaine. Malgré quelques références à Camus et Kundera, on ne le sent pas séduit par une culture qu’il trouve trop contrainte par la forme classique, notamment chez Racine, bien qu’il soit grand amateur de théâtre.

En fait, il lui faut une fantaisie et une fantasmagorie qui ne sont pas les vertus cardinales de notre continent. Sauf pour le cinéma français de la nouvelle vague dont la rupture avec les formes classiques paraît l’enchanter, particulièrement chez Jean-Luc Godard.

L’Italie en revanche et pour les mêmes raisons trouve plus de grâce à ses yeux avec des romanciers comme Italo Calvino en particulier. Il va même jusqu'à penser que les Italiens sont les Indiens de l’occident et inversement !

Enfin dans certains de ses textes, Salman Rushdie affirme des positions politiques d’opposition vis à vis des trois pays qui lui sont chers ( Inde, Royaume-uni et Etats-unis ) mais sans la distance et la transposition que l’on attend d’un écrivain, plutôt avec l’engagement critique voire polémique d’un militant et, bizarrement, cela lui ôte sa fantaisie créatrice.

Encore un mot...

Ce recueil de textes constitue un ensemble composite mais très intéressant sur de nombreux sujets abordés par cet intellectuel accompli, aux connaissances, particulièrement littéraires, étendues et universelles.

Une phrase

« C’est curieux ce que l’on considère comme normal jusqu’à ce qu’on y croie plus. Ou qu’est-ce que cela fait d’être Raymond Carver, de s’entendre dire par son médecin qu’on a un cancer du poumon inopérable ? " Je crois bien que j’aurais pu le remercier, écrit Carver, tant les habitudes sont fortes." »

L'auteur

Salman Rushdie naît en 1947 à Bombay dans une famille musulmane laïque de la bourgeoisie aisée. Il quitte son pays à l'âge de 13 ans pour intégrer un collège anglais caricatural. Puis il étudie au King's College à Cambridge.

Sa carrière d'écrivain trouve son point d’orgue avec son roman Les Versets sataniques dont la publicité mondiale a, malheureusement, été assurée par la " fatwa ", c’est-à-dire l’appel au meurtre barbare hurlé contre lui par l’ayatollah Khomeini et, à nouveau, en 2022 par le grave attentat dont il a été victime en exécution de cet appel.

Aujourd’hui rétabli malgré la perte de l’usage d’un oeil et d’une main, Il s’apprête à publier un nouveau roman qui fera suite à ceux parus avant et après Les Versets sataniques en 1989, dont Les Enfants de minuit ( prix Booker Prize 1981), La Honte en 1983, La Maison Golden en 2017, Quichotte en 2019

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