Marie-Blanche de Polignac, la dernière égérie

La muse adorée du Tout-Paris des années folles : une biographie bien attachante !
De
David Gaillardon
Tallandier "libre à elles"
septembre 2024
490 pages
23.90€
Notre recommandation
4/5

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Thème

Voici la première biographie consacrée à la fille unique de Jeanne Lanvin qui, durant ses jeunes années, se prénomme Marguerite, dite "Ririte", née en 1897. Elle se marie une première fois avec le futur Dr René Jacquemaire-Clemenceau, le petit-fils du Tigre, et en secondes noces avec le comte Jean de Polignac.  Elle est adulée par sa mère, adorée par son premier mari, puis autant par le second qu'elle épouse en 1924, pour lequel elle adopte le prénom de Marie-Blanche. Alors que sa mère n'est pas une mondaine malgré le succès de sa maison de haute couture, Marie-Blanche aime plaire, s'amuser et  fréquenter le grand monde parisien des années folles.

Elle est l'une des plus belles femmes de Paris, sans doute la plus élégante, et surtout, pianiste remarquée dès son jeune âge, soprano à la voix "angélique" (dixit Erik Satie), jouissant en musique de l'oreille absolue, elle travaille et joue avec tous les musiciens de l'époque, compositeurs et interprètes, dont Germaine Tailleferre  et le groupe des Six, Rubinstein et Horowitz, Nadia Boulanger, Jacques Février... et, jouissant d'un goût très sûr,  elle fréquente et conseille aussi tous les écrivains et créateurs de théâtre (en vogue ou en devenir prometteur) dont Colette, Cocteau, Morand, Giraudoux, Lacretelle, Louise de Vilmorin, Edouard Bourdet, et bien d'autres.

Marie-Blanche de Polignac a donc joué, par son charme, son talent, son sens de l'amitié,  un rôle majeur dans la création musicale et littéraire  du premier XXe siècle, jusqu'à ses derniers jours en 1957.  Mais si les années entre les deux guerres ont permis à ces amis du grand monde de traverser une période festive plaisante et créatrice, celles de l'Occupation, de la guerre, des arrestations et des privations, ont évidemment modifié l'ambiance et les habitudes. Après la guerre, l'époque n'est plus à l'insouciance,  le monde a changé...

Points forts

  • Cette biographie fait pénétrer le lecteur dans un "grand monde" qui vit généralement entre soi. On a l'impression de bénéficier des invitations dans les salons, de participer aux soirées de musique et d'imaginer les costumes des bals réputés.  

  • Aucune longueur au fil des chapitres. Au contraire, chacun offre un rebondissement inattendu et l'on aborde le suivant avec plaisir et curiosité.

  • Les personnages qui entourent Marie-Blanche, tous ceux qu'elle croise, sont évoqués en quelques lignes essentielles, suffisantes pour savoir de qui il s'agit. 

  • L'auteur a manifestement effectué d'innombrables recherches (les notes en fin de volume le prouvent) dans les archives, la presse, les correspondances et les souvenirs-témoignages, tant français qu'étrangers, pour dresser le portrait de chacun.  L'index final est bienvenu pour mesurer les innombrables relations amicales et/ou mondaines qui côtoient Marie-Blanche. Quant au cahier central de photographies, il nous rend Marie-Blanche et son entourage encore plus attachants.  

    Les Bretons apprécieront particulièrement la description de la grande maison, du château à vrai dire,  dont hérite Jean de Polignac, à Kerbastic près de Guidel dans le Morbihan, où le comte, cavalier et marin accompli, et son épouse Marie-Blanche, reçoivent leurs amis du Tout-Paris ! Jean, devenu maire de Guidel, organisera un réseau de résistance quand Kerbastic sera réquisitionné par les Allemands, puis fortement endommagé par les bombardements.

    On découvre avec intérêt le portrait de Nadia Boulanger, première femme chef d'orchestre, professeur hors pair dont les élèves en musique furent appelés à la célébrité. Le groupe vocal fondé par Nadia (2 sopranos, 2 altos, 1 ténor et 1 basse) entraînera Marie-Blanche jusqu'en Amérique où la tournée de concerts et matinées rencontre un immense succès.

Quelques réserves

On aurait pu craindre que l'auteur se contente de retracer les frivolités de la vie mondaine du couple Polignac et de personnes qui jouissent d'une fortune bien assise. Au contraire il s'attache, dans son portrait, à révéler les qualités humaines profondes, et souvent insoupçonnées de Marie-Blanche :  son courage (elle sauve plusieurs amis des griffes allemandes), sa fidélité en amitié, sa générosité, sa persévérance sérieuse à travailler la musique et son énergie quand il s'agit de reprendre la direction de la maison Lanvin à la mort de sa mère.

Encore un mot...

Il est intéressant de dresser une comparaison entre Marie-Blanche (épouse de Jean de Polignac) qui fut incontestablement une égérie, inspirant nombre de compositeurs et d'écrivains, et Winaretta Singer-Polignac (épouse d'Edmond de Polignac) qui fit des commandes et soutint financièrement des musiciens. Marie-Blanche, elle, ne commanda jamais de partitions mais beaucoup lui furent dédiées (en particulier par son ami Francis Poulenc). Winaretta, à sa manière, fut aussi une égérie dont la personnalité si originale et attachante mériterait qu'un livre entier lui soit consacré...

Une phrase

  • "Comment rester soi-même quand on est pris dans un tourbillon permanent et qu'il faut sans cesse garder le masque de la mondanité ? Marie-Blanche n'est sans doute pas exempte de défauts, mais l'éducation qu'elle a reçue, les valeurs sans doute aussi que sa mère lui a transmises, font qu'on chercherait en vain chez elle la moindre trace de snobisme" (p. 198)

  • "Quand il se rend rue Barbet-de-Jouy (demeure des Polignac), Poulenc n'a pas le sentiment d'aller dans le monde mais bien de retrouver une amie soucieuse de découvrir ce qu'il lui apporte de nouveau, musicalement. Une amie capable de parler musique avec lui en véritable professionnelle, et d'essayer au piano si tel ou tel passage d'une œuvre récemment composée ne "fonctionnerait " pas mieux écrit différemment. "Déchiffreuse" de partitions prodige, la comtesse de Polignac sera celle à qui Poulenc dédiera le plus grand nombre de mélodies" (p. 215)

L'auteur

David Gaillardon est à la fois un écrivain qui a publié plusieurs ouvrages de nouvelles (Au Caffé DinelliLa Nuit de BlankenfeldLe Lapin de Pâques , (éd. Via Romana) et un biographe réputé auquel on doit les biographies de Jean-Augustin Maydieu (Le Cerf), d'Alex Rzewuski, aristocrate européen La Beauté et la Grâce. (éd. Lacurne); il prépare les Souvenirs d'un européen d'hier, le  prince Alfons Clary und Aldringen (à paraître chez Lacurne). Il a récemment publié Le salon vertA l'Elysée au coeur du pouvoir  avec la journaliste du Monde Marie-Béatrice Baudet (Grasset) largement salué dans la presse durant l'été 2024.  

Commentaires

Fanny
mer 02/10/2024 - 11:12

"Winaretta, à sa manière, fut aussi une égérie dont la personnalité si originale et attachante mériterait qu'un livre entier lui soit consacré..."
Il existe une excellente biographie de Winnaretta (2 n et 2 t !). Intitulée "Winnaretta Singer-Polignac, princesse, mécène et musicienne.", elle a été rédigée par Sylvia Kahan, une universitaire américaine (Dijon, Les Presses du Réel, 2018).

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