Marie Taglioni. Étoile du ballet romantique

Une réflexion inventive et lumineuse sur la ballerine star des années 1830
De
Chloé d’Arcy
Presses Universitaires de Bordeaux
Parution en janvier 2023
304 pages
39€
Notre recommandation
5/5

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Thème

Alors que le ballet romantique européen connaissait des années fastes, Marie Taglioni (1804-1884) s’est érigée en véritable icône de la danse classique. Son interprétation de La Sylphide (1832), un rôle de composition signé par son père Philippe, consacre le long costume blanc de tulle et la technique des pointes comme traits définitoires de la ballerine pour les siècles à venir. 

Dans cette recherche, Chloé d’Arcy retrace le parcours de l’égérie du ballet romantique à travers l’Europe : au-delà des mythes sur la danseuse, construits à partir de ses représentations iconographiques et littéraires, Marie Taglioni était aussi une femme mondaine et une femme d’affaires. Délicate et gracieuse sur scène, la Sylphide pouvait se montrer inflexible et astucieuse lorsqu’il s’agissait de suivre ses spectacles, négocier des contrats avantageux et mobiliser le réseau qui contribuaient à la construction de sa célébrité. Cette réflexion propose donc une plongée dans la dimension pratique de la carrière internationale de l’Etoile, et explore les liens tissés au gré des rencontres, avec les acteurs de la sphère culturelle et politique. Dans le sillage des approches historiques internationales et du renouvellement des dance studies, l’ouvrage jette un regard original sur l’histoire de la danse et des femmes artistes, dévoilant la pluralité des visages de la ballerine.

Points forts

Le nom de Marie Taglioni convoque l’image d’une jeune femme gracieuse et délicate, prête à s’envoler dans son long costume de tulle blanc, pourvu de petites ailes dans le dos et ses chaussons de pointe en satin… On l’associe à la Sylphide, rôle principal du ballet éponyme composé par son père Philippe en 1832, et plus largement, on en fait le symbole du ballet romantique européen. C’est au parcours de cette danseuse devenue légende que Cholé d’Arcy a choisi de consacrer son mémoire de Master 2 d’Histoire. L’étude fait fonds sur une riche documentation, puisée dans les archives Taglioni de la Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris et la presse quotidienne de l’époque : citations des Souvenirs de la danseuse (parus en 2017 aux éditions Gremese), poèmes et textes de Théophile Gautier, extraits d’articles du journal Le Ménestrel et gravures de la danseuse dans ses rôles phares…

Les reproductions de documents originaux de qualité ponctuent la lecture des chapitres denses et savants. Au fil de l’ouvrage, les références historiographiques abondent, qui appuient et dialoguent avec l’analyse développée par l’autrice. Tout en suggérant la richesse de la production intellectuelle déjà réalisée au sujet de la ballerine, Chloé d’Arcy se démarque grâce à une étude méticuleuse du personnage de Marie Taglioni, nourrie des approches et des concepts renouvelés de la recherche en histoire de la danse. 

D’une part, le prisme d’analyse choisi se révèle particulièrement opératoire : le concept de « vedettariat », dans lequel l'auteure identifie trois phases, permet de retracer le parcours de Marie Taglioni, de son accession fulgurante à la gloire jusqu’à son passage à la postérité. Grâce à cette approche, Chloé d’Arcy explore en profondeur les mécanismes du succès d’une danseuse : si les récits de son enfance insiste sur le caractère improbable de sa carrière dans la danse, c’est pour mieux faire l’éloge a posteriori de son statut d’emblème du ballet romantique ; au sommet de sa carrière dans les années 1830, elle multiplie les contrats et les voyages en Europe pour entretenir et diffuser sa renommée ; après ses adieux à la scène, il s’agit encore de briller, par la création de ballets à succès et la transmission de son art aux étoiles montantes, notamment Emma Livry (1841-1863). La réflexion de l'auteure s’étend encore à la construction de sa légende posthume et aux tentatives de faire revivre ses succès, notamment celle de Pierre Lacotte qui, en 1972, remonte La Sylphide à l’Opéra de Paris. Un travail sur le temps long qui souligne les enjeux de mémoire spécifiques à l’histoire de la danse, objet par essence mouvant et éphémère.

Prenant acte des jeux de pouvoir qui caractérisent la sphère du ballet au XIXème siècle, Chloé d’Arcy propose une analyse remarquable de la vie « en coulisses » de la ballerine, nourrie des nouvelles approches de l’histoire sociale, matérielle et du genre. En effet, l’auteure part du constat que les études consacrées à Marie Taglioni proposaient jusqu’ici une vision incomplète de la vedette : elle n’est pas simplement une grande artiste et une figure publique ; elle est aussi « femme d’affaires », engagée dans des réseaux mondains et professionnels. Des directeurs de l’Opéra de Paris à son père, qui crée ses chorégraphies et gère une grande partie de sa carrière, la ballerine évolue dans un univers dominé par les figures d’autorité masculines. Mais, l'auteure montre bien que Marie Taglioni sait souvent tirer profit de cette contrainte genrée.

Dans les exemples déployés par l’analyse, on se délecte des anecdotes sur ses coups d’éclats vis-à-vis de la direction de l’Opéra, des stratagèmes mis en place pour briller toujours plus que ses pairs, sur scène et dans le monde, et surpasser la concurrence – notamment celle de Fanny Elssler (1810-1884). D’autre part, la ballerine doit mener des négociations entre carrière et vie privée. L'auteure s’attache alors à décrypter les discours tenus à différents niveaux, pour justifier ses absences de scène et notamment cacher – au moins à demi – une grossesse inattendue… Ce point de vue intimiste permet également d’attirer l’attention sur les « invisibles », ceux qui vivent dans l’ombre de l’Etoile tout en contribuant de façon non négligeable au succès de sa carrière, à commencer par Paul Taglioni, frère de Marie. Au-delà de la figure mythique centrale, l’étude menée par Chloé d’Arcy dévoile tout un microcosme des arts du spectacle du XIXème siècle et suggère en creux les nombreuses perspectives à explorer dans ce champ de recherche.

Quelques réserves

S’agissant d’une étude initialement réalisée dans un cadre universitaire, son style en est parfois trop scolaire. L’écriture, soumise à l’exigence de rigueur intellectuelle, peut manquer de fluidité et de naturel. Mais c’est là une fragilité négligeable, au vu de l’ampleur et de la qualité du travail de recherche présenté.

Encore un mot...

Au tournant du XXIème siècle, la recherche en histoire de la danse a fait sortir de l’ombre les figures féminines marginalisées par les récits communs, comme Mariquita (1840 ou 1841-1922) ou Bronislava Nijinska (1891-1972). Ici, Chloé d’Arcy prend une voie différente : grâce à cette étude approfondie de la figure de Marie Taglioni, l’auteure fait la lumière sur la construction du plus grand mythe du ballet romantique, et apporte à l’historiographie de la danse une contribution originale et inspirante. 

Une phrase

« Marie Taglioni impose son excellence artistique qui ne cessera de fasciner et de surprendre. Cette excellence, relevant du génie romantique, se fonde sur une parfaite maîtrise technique (notamment des pointes) transcendée par sa grâce et sa légèreté, ainsi que sur l’incarnation des idéaux féminins. Séduisante mais empreinte de pudeur, de chasteté et de spiritualité, Marie Taglioni fait fusionner dans sa danse rêve et réalité » (p. 257).

L'auteur

Doctorante à l’EPHE-PSL (laboratoire SAPRAT) en histoire de la danse et des spectacles au XIXème siècle, Chloé d’Arcy travaille actuellement à la rédaction d’une thèse intitulée Bals et spectacles dans les stations thermales et balnéaires. Sociabilités mondaines et artistiques, 1816-1872, sous la direction de Jean-Claude Yon. En 2019, elle obtient une mention spéciale du prix Mnémosyne 2018 pour ses recherches consacrées à Marie Taglioni (Master 2 d’Histoire à Science Po Paris). Elle est également professeure de danse contemporaine diplômée d’Etat.

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