Nourrir

Un plaidoyer passionné et argumenté en faveur des agriculteurs
De
Sylvie Brunel
Buchet Chastel
Parution le 23 février 2023
332 pages
21,50 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

L’auteur défend les agriculteurs, de plus en plus diplômés, équipés et à l’écoute des préoccupations de la société, face aux attaques d’idéologues incompétents et agressifs. Elle a accumulé des connaissances scientifiques et techniques impressionnantes qui lui permettent de démonter les idées reçues dont les agriculteurs sont les victimes. Quelques exemples sont particulièrement éclairants.

Ainsi la pression à l’interdiction de l’herbicide glyphosate ne repose sur aucune base scientifique sérieuse. Elle ne vient pas de l’UE qui s’apprête à prolonger son autorisation, mais est originaire de délires purement franco-français. La seule étude négative, très controversée et mise en cause par les agences de sécurité européenne et américaine, date de 2015. Elle classe le glyphosate dans la même catégorie de possible cancérigène que la viande bovine, la charcuterie, l’aspirine et le sel de cuisine ! L’organisme responsable de l’étude n’a jamais publié le détail des analyses scientifiques qui le conduisent à tirer ces conclusions, contrairement à l’éthique scientifique. L’alternative au glyphosate est le désherbage thermique ou le labour, peu efficaces et gros émetteurs de gaz à effet de serre.

Il en est de même des OGM qui sont cultivés sur des centaines de millions d’ha partout dans le monde sauf en Europe, sans aucun problème, tout en éliminant les parasites et en réduisant le besoin en pesticides. L’auteur défend un usage raisonné des pesticides. Il est particulièrement indispensable dans les zones tropicales, que l’auteur connaît bien pour y avoir beaucoup séjourné, afin d’éliminer les pestes. Ces dernières reviennent en Europe, lorsque les pesticides ne sont plus utilisés, comme en témoigne la recrudescence sans précédent du mildiou ces dernières années, y compris en 2023, détruisant les récoltes non traitées de la viticulture et de la pomme de terre. La prolifération des mauvaises herbes dans les villes au nom de la biodiversité peut aboutir à l’apparition de certaines espèces très dangereuses comme la datura, dont la présence infime dans un champ de blé aboutit à l’interdiction de la commercialisation de tout le lot qui y est produit. L’hybridation des courgettes avec certaines espèces sauvages peut être très toxique pour les apprentis jardiniers bio urbains.

L’auteur dénonce l’illusion de la promotion généralisée du bio et des circuits courts comme solution globale, alors qu’ils ne peuvent être que très minoritaires dans l’approvisionnement alimentaire. Elle dénonce également l’exploitation de la « souffrance climatique » de la jeunesse par des ONG environnementales idéologiques relayées par des médias complaisants.

Le livre recommande à la fois de produire plus, de mieux rémunérer l’agriculteur et de protéger la nature. Ce triptyque suppose de recourir à différents modèles d’agriculture, y compris les grandes exploitations modernes. Il célèbre les avancées scientifiques comme la découverte du ciseau moléculaire qui a valu le prix Nobel de chimie 2020 à la Française Emmanuelle Charpentier, dont les recherches ont été menées aux Etats-Unis, en Autriche et en Allemagne, et pas en France ou science est en passe de devenir un gros mot.

Le changement climatique, dont l’existence n’est nullement remise en cause par l’auteur, est devenu l’alibi d’un gigantesque retour en arrière qui menace les bergers d’alpages, indispensables à la protection de ces espaces naturels, auxquels on préfère la protection des loups et des ours. 

Il en est de même de la question de l’eau indispensable à l’agriculture. Il faut des retenues et même des bassines pour stocker l’eau quand elle est abondante, en particulier l’eau pluviale dont la retenue, limitée actuellement à 3% des précipitations, est en régression du fait de l’inertie bureaucratique. Il y a suffisamment d’eau, c’est sa répartition dans le temps et dans l’espace qui doit être géré.

L’irrigation ne concerne que 6 % des surfaces, comme en Afrique, et pourrait être développée grâce à l’utilisation massive des eaux usées retraitées comme en Espagne. La légende noire du maïs, consommateur abusif d’eau, est contestée. Il faut environ deux fois moins d’eau par kg de maïs fourrage produit que pour le blé ou la pomme de terre. Un ha de maïs assure autant d’évapotranspiration qu’un ha de forêt. La forêt des Landes injustement décriée a permis, au XIXème siècle, de remplacer le mini Sahara que devenait cette zone.

L’auteur décrit la catastrophe écologique qu’est devenue la salinisation de la Camargue après le rachat en 2005 des terres des Salins du Midi par le Conservatoire du Littoral qui a arrêté d’entretenir les pompes et les digues. Les flamants roses et les prairies nécessaires aux taureaux disparaissent, la culture du riz devient impossible, exploits exceptionnels de l’écologie punitive. Au contraire, le même Conservatoire du Littoral a fait un excellent travail dans la zone Saint-Malo Cancale en autorisant le maintien de l’élevage (prés salés), des cultures maraîchères, de la conchyliculture et de la mytiliculture.

L’auteur conclut sur une note économique. Elle constate la dégradation de la position exportatrice de la France et la croissance des importations dans le secteur de la viande et des fruits et légumes. Elle défend l’apport des grandes cultures, point fort français, et une industrie agro-alimentaire performante, injustement décriée sous le vocable péjoratif d’agro-business. Elle déplore le revenu trop bas des éleveurs laitiers qu’elle impute à l’insuffisance du prix du lait à la production. Enfin elle salue la réduction de 20 % en cinq ans de l’utilisation des pesticides, témoignage des efforts des agriculteurs.

L’idée la plus originale du livre est l’instauration d’un service civique agricole obligatoire qui permettrait à la jeunesse de prendre conscience concrètement de la nature du travail agricole, et de tempérer un peu les difficultés de recrutement de main d’œuvre par les agriculteurs. Il faudrait aussi trouver le moyen d’associer les enseignants qui continuent de colporter de grossières inexactitudes sur les agriculteurs, quand ce n’est pas sur les mécanismes économiques de base à propos desquels ils sont souvent ignorants.

Points forts

Sylvie Brunel, géographe, a fait un très gros travail de recherche et de documentation dans un domaine qui n’est pas son principal champ de compétence. Elle livre une analyse très argumentée des problèmes auxquels sont confrontés les agriculteurs, devenus injustement les boucs émissaires d’une certaine écologie punitive, idéologique et incompétente. Celle-ci cherche à imposer son modèle de société décroissante et régressive sous l’alibi du changement climatique, aucunement remis en cause par l’auteur, contrairement aux accusations de ses contempteurs qui la qualifient injustement de climatosceptique, désormais injure suprême.

Les exemples concrets et convaincants des dérapages, auxquels peut conduire une conception naïve d’une nature bienveillante que l’homme moderne passerait son temps à agresser, sont multiples. L’auteur est favorable à la diversité, la mesure et l’équilibre des productions agricoles sur les territoires où chacun a sa place, dans le respect de l’environnement, mais avec des exploitations agricoles modernes et de taille économique suffisante et une industrie agro-alimentaire performante.

Le service civique agricole est une magnifique idée, dont on peut malheureusement douter de la mise en œuvre, dans le contexte actuel de dévalorisation de l’effort.

Le livre est bien écrit et se lit facilement. Sylvie Brunel lance un appel au respect des agriculteurs, qui travaillent beaucoup plus que le reste de la société, afin de nourrir les hommes avec des aliments sains et de qualité, en subissant des critiques souvent injustes de la part d’une partie des habitants des villes qui ignorent à peu près tout des contraintes de leur métier.

La vulgarisation économique des dernières pages du livre est bienvenue, avec la publication de quelques données chiffrées essentielles qui aident à comprendre les atouts et les faiblesses de l’agriculture française.

Quelques réserves

Malgré ses mérites, la partie économique finale aurait pu être davantage élaborée. Par exemple l’auteur n’esquisse pas d’explication au déclin réel de la balance commerciale agro-alimentaire française depuis 15 ans. L’explication ne peut être européenne puisque la balance commerciale agro-alimentaire de l’UE vers le reste du monde s’est améliorée de façon impressionnante sur la même période. Les causes sont donc à l’évidence franco-françaises et multiples.

L’auteur n’échappe pas à un certain misérabilisme quand elle plaint les producteurs de lait dont le revenu insuffisant serait imputable au trop bas prix du lait. En réalité, le prix payé en 2020 qu’elle cite est plutôt normal et a beaucoup augmenté depuis cette date. L’amélioration du revenu des producteurs de lait passe surtout par un agrandissement de la taille des exploitations, encore insuffisante en France, pour se rapprocher des Pays-Bas et du Danemark, voire même de l’Allemagne qui s’est beaucoup restructurée depuis l’unification de 1990. En réalité, les agriculteurs les plus à plaindre sont les producteurs de viande bovine et ovine.

Encore un mot...

Ce très bon livre paru depuis six mois a été accueilli par un silence assourdissant des médias qui ont assuré au contraire la promotion tapageuse de livres défendant une écologie prônant un retour vers une agriculture mythifiée des années 1950, période pendant laquelle 4 000 personnes mouraient annuellement d’intoxication alimentaire.

On pourrait paraphraser la formule célèbre de Clémenceau à propos de la guerre et des militaires : l’environnement est un sujet trop sérieux pour être laissé aux écologistes idéologiques de la décroissance. Rappelons également le titre, Les écolos nous mentent, de l’excellent livre, paru il y a 18 mois, de Jean de Kervasdoué, ancien conseiller agricole de Pierre Mauroy en 1982, ancien Directeur des Hôpitaux, spécialiste reconnu de l’économie de la santé et de l’économie agricole, accessoirement mon ancien professeur à l’Ecole du Génie Rural et des Eaux et Forêts au milieu des années 1970 où la véritable écologie scientifique commençait à être enseignée.

Une phrase

  • « Les paysans sont de plus en plus diplômés. Ils sont aujourd’hui une des professions les plus connectées de France. » page 27
  • « Le paysan est le roi méconnu de la nature. C’est lui qui fabrique ces paysages magnifiques qui nous submergent de bonheur quand nous passons une journée à la campagne. » page 47
  • « Aujourd’hui revient l’apologie du fouillis. Les mauvaises herbes colonisent les villes au nom d’une vision bien erronée de la biodiversité… » page 55
  • « Critiquer l’agriculture des grands espaces, la mécanisation, la robotisation, en qualifiant d’agriculture productiviste ou industrielle ce qui n’est pas petit, c’est se fourvoyer. » page 98
  • « L’agriculture est par essence le domaine de la complexité, à la mesure de la diversité des histoires, des terroirs, des décisions politiques, de la géologie et des climats, mais malheureusement nous continuons trop souvent à l’appréhender à travers des lunettes idéologiques. » page 172
  • « Il ne faut pas revenir au passé et faire de l’agriculture des pays riches une nouvelle fabrique de pauvres. » page 188
  • « Il ne s’agit pas de vider les nappes phréatiques, juste d’utiliser une ressource de surface qui ruisselle en hiver en détruisant tout sur son passage si elle n’est pas canalisée, pour manquer cruellement pendant les mois d’été. » page 245

L'auteur

Sylvie Brunel est professeur de géographie à la Sorbonne, agrégée de géographie et docteur en économie, spécialiste du développement et du développement durable. Auparavant elle a travaillé pendant 17 ans pour Médecins sans frontières et Action contre la faim. Elle connaît particulièrement bien l’Afrique. Elle a écrit de nombreux livres sur le développement et aussi quelques romans. Depuis quelques années, elle se consacre à la défense des agriculteurs, injustement attaqués selon elle. Elle est une des cibles des écologistes qui la qualifient de climatosceptique, bien qu’elle ne remette nullement en cause le changement climatique, mais conteste seulement l’excès de catastrophisme de certains et défende des solutions fondées sur la technologie et l’innovation.

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