Putzi - Le pianiste d’Hitler

Un petit bonhomme au service de l’ascension d’Hitler, un portrait éclairant largement documenté
De
Thomas Snégaroff
Gallimard - 335 pages - 22 euros
Notre recommandation
4/5

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Thème

Putzi, ‘petit bonhomme’ en dialecte bavarois, voilà le surnom donné par un domestique au jeune Ernst Hanfstaengl, né d’un père allemand, marchand d’art, et  d’une mère américaine de la famille Sedgwick du Connecticut. Diplômé d’Harvard en 1908, représentant de la maison familiale à Manhattan, il devient persona non grata après l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 et regagne l’Allemagne de Weimar à la mi-1921. Il est subjugué par la personnalité d’Adolf Hitler qu’il rencontre un an avant sa tentative de putsch en novembre 1923 et héberge quand nécessaire. S’engage alors une collaboration étroite avec le futur dictateur : financement du journal du parti, participation à la rédaction de Mein Kampf jusqu’à l’entrée au NSDAP en 1931. Putzi est chargé d’assurer la promotion d’Hitler auprès de la presse étrangère. Il entretient une relation de nature quasi-amoureuse avec le dictateur en qui il voit l’homme providentiel rêvé en son temps par Wagner pour lequel les deux hommes partagent une passion envahissante. Comme Hitler, Putzi admire les penseurs racistes Chamberlain et le comte de Gobineau et sa théorie de la ‘race pure’.

 L’étoile du confident et pianiste d’Hitler pâlit dès 1932 après que la journaliste américaine Dorothy Thomson ait qualifié Hitler d’être ‘insignifiant, incapable de devenir le führer’, dans une célèbre interview prélude à son livre aussi peu inspiré ‘I saw Hitler’ de 1932. Il est chassé de la Chancellerie à l’automne 1934. Il fuit en Suisse au terme d’une mascarade montée par Göring qui l’avait convoqué pour une mission soi-disant importante dans les lignes républicaines espagnoles.

 Exilé sans le sou en Angleterre, Putzi rompt avec le Reich fin août 1939. Arrêté par Scotland Yard, il est expédié au Canada comme prisonnier de guerre et accepte d’entrer au service des Américains. Il produit alors un lourd mémo sur Hitler qui impressionne Roosevelt. Les Anglais qui se méfient de lui – ‘un aventurier, un homme indigne de confiance, un menteur’ – font fuiter son projet d’une révolution interne qui causerait la chute du régime et Roosevelt se convertit alors à l’objectif d’une reddition sans condition du Reich. Le Président cesse bientôt de lire ses mémos. Libéré en septembre 1946, dénazifié et disculpé dans un procès en 1949, il meurt en 1975 à 88 ans. Ses mémoires n’ont aucun succès.

Points forts

 Le récit mêle le portrait psychologique d’un nazi authentique et une plongée documentée dans la genèse du régime et les mécanismes d’adhésion du peuple allemand à Hitler.

 Un ‘sale type’ haut en couleur et un nazi authentique

 Ses origines familiales, son éducation, sa culture et ses relations confèrent à Putzi les traits de l’intellectuel mondain de l’entre-deux-guerres. C’est un géant de deux mètres, un pianiste distingué, amoureux de Wagner, qui n’a pas son pareil pour animer de longues soirées. Il se distingue de la plupart des autres dignitaires nazis comme Rosenberg ou Goebbels qu’il abhorre pour leur vulgarité et leur inculture. Putzi est aussi un personnage bien introduit auprès des industriels munichois,  un atout utile pour la carrière d’Hitler. Sa double culture allemande et américaine,  sa maîtrise des langues étrangères et son carnet d’adresses lui ouvrent de nombreuses portes utiles pour le régime et contribuent à séduire des leaders influents du temps parmi lesquels Henri Ford, Pierre de Coubertin ou Lloyd Georges.

 Putzi est aussi un aventurier, un entremetteur de haut vol dénué de scrupules, un courtisan empressé. Ainsi, il aura cherché longtemps à pousser Hitler dans les bras de femmes qui pouvaient servir sa vision des desseins du régime comme Martha Dodd, aveuglement éprise du führer ou Diana Miltord, épouse d’un héritier Guinness et maîtresse du fasciste anglais Mosley. Ses démarches en vue d’un mariage d’Hitler échouèrent toutes lamentablement, l’auteur qualifiant Hitler de ‘agalmatophile asexué ou de timide maladif’.

Putzi a cherché à minorer son rôle après la guerre. Il a affirmé que son objectif avait été de ‘ramener Hitler à la raison’ ou de ne ‘pas effrayer le monde’. Or, il n’a cessé de servir Hitler depuis ses débuts dans les brasseries munichoises jusqu’à l’incendie du Reichstag auquel il a assisté complaisamment. Il a été le promoteur du régime auprès des correspondants étrangers et des leaders d’opinion. De même, son rôle dans la signature du traité naval germano-anglais de 1935 qui ouvre la voie au réarmement naval du Reich, sans être décisif, ne peut être passé sous silence.

 Une plongée documentée dans le cœur de l’idéologie nazie et des mécanismes d’adhésion du peuple allemand

 Le livre est l’œuvre d’un historien professionnel qui s’appuie sur une très abondante documentation (y compris les papiers personnels de Hanfstaengl). Le rôle de Wagner qui appelait de ses vœux l’émergence d’un leader capable de mettre en œuvre  la domination d’une race ‘purifiée’ est éclairant. Mais plus encore, l’auteur suggère qu’Hitler et son idéologie étaient en phase avec les demandes d’une nation allemande que la propagande nazie avait décrite - à  dessein - comme trahie et humiliée par le traité de Versailles. Les Allemands ‘l’idolâtraient’ dit l’auteur en parlant d’Hitler. Thomas Snégaroff cite les propos du réalisateur allemand Syberberg qu’il a rencontré : ‘Vous savez, cher ami, jamais l’Allemagne ne fut plus elle-même qu’avec et sous Hitler’. Ou Carl Jung chez qui qui Putzi a trouvé refuge en Suisse qui affirme : ‘ce qui est impressionnant avec le phénomène allemand, c’est qu’un homme manifestement possédé est parvenu à infecter une nation entière’. L’auteur ajoute ‘Putzi ne mesure pas à quel point il est lui-même infecté’.

 La construction du livre s’affranchit heureusement du genre biographique

 Reposant sur un travail documentaire solide et auquel on plaisir à se référer pendant la lecture - l’épisode filmé de la mascarade organisée par Göring est visible en ligne - , le livre n’est pas bâti comme une biographie linéaire. Au gré de la narration, le lecteur est plongé alternativement dans différentes époques et lieux à la fois du making of (la rencontre entre les universitaires américains auteur du travail sur Putzi dans les années 70 dans la maison même qui a accueilli Hitler) et du cœur de l’histoire de Putzi proprement dite (une rencontre des anciens d’Harvard, une scène de meeting dans une brasserie munichoise..). L’auteur évite ainsi la lourdeur du style biographique.

Quelques réserves

On hésite à trouver des points faibles significatifs à ce livre. Peut-être les courtes digressions sur la vie de Putzi aux États-Unis pendant la première guerre et son idylle avec la romancière Djuna Barnes ne servent pas suffisamment le récit.

Certains pourront regretter que la perspective historique ne prenne le pas sur le portrait psychologique, ce qui n’est pas surprenant vu le profil de l’auteur. Un successeur de Stefan Zweig pourrait agréablement compléter le travail de Thomas Snégaroff !

Encore un mot...

 On n’éprouve décidément pas de sympathie pour ce groupie d’Hitler en dépit de ses tentatives de réhabilitation. Mais à travers son histoire personnelle et les portraits esquissés d’autres acteurs aussi peu reluisants, le lecteur est invité à revisiter comment une idéologie monstrueuse a pu gagner les suffrages de dizaines de millions d’européens avec le concours de personnages comme Putzi. Un rappel à l’ordre salutaire – tout était écrit dès 1923 pour qui voulait prendre la peine de s’informer !

Une phrase

‘Peu de temps après,.. Putzi fit un rêve étrange. Il portait son uniforme S.S. made in England et jouait sur un Steinway de concert qui soudain prenait feu, se consumant de l’intérieur, faisant claquer les cordes dans un fracas étrangement mélodieux. Les flammes lui léchaient les doigts. Mais insensible au drame, il continuait de jouer. Derrière le rideau de fumée et de flammes se tenait Adolf Hitler, apaisé, le regard planté dans celui de son pianiste, l’encourageant à poursuivre’ (page 271).

L'auteur

Né en 1974, agrégé d’histoire et titulaire d’un DEA d’histoire contemporaine, Thomas Snégaroff mène une double carrière d’enseignant et de journaliste de radio et de télévision. Auteur d’une dizaine d’ouvrages consacrés aux États-Unis, il intervient régulièrement comme consultant pour commenter l’actualité politique américaine dans les médias. Parmi ses œuvres, on peut citer :

 Faut-il souhaiter le déclin de l’Amérique ? (Larousse, 2010) ;  L’Amérique dans la peau. Les corps du président américain, ( Armand Colin, 2012) ; Kennedy, une vie en clair-obscur, (Armand Colin, 2013) ; Bill et Hillary Clinton. Le mariage de l'amour et du pouvoir, (Tallandier, 2014) ; Je suis ton père. La saga Star Wars, l'Amérique et ses démons, (Naïve, 2015) ; rééd. : Star Wars. Le côté obscur de l'Amérique, format poche, (Armand Colin, 2018) ; (avec Alexandre Andorra), Géopolitique des États-Unis, ( PUF,  2016.) ; Little Rock, 1957. L’histoire des neuf lycéens noirs qui ont bouleversé l’Amérique, (Tallandier, 2018). 

Le clin d'œil d'un libraire

Librairie Lamartine,  118 rue de la Pompe, 75116 PARIS  Tel 01 47 27 31 31 ww.lamartine.fr

55 000 références à portée de main ou presque…face au plus grand lycée de Paris. Un record ! Beau challenge pour les 10 libraires de la maison Lamartine de la rue de la Pompe, dans le 16e, qui vient de fêter ses 92 ans. Stanislas, libraire dans la force de l’âge, et puits de culture, confie : « Oui, avec ce clic and collect qui marche très fort c’est plutôt physique. Ici, chez Lamartine, nous réunissons les avantages d’une petite librairie de proximité à l’écoute de ses clients dont les goûts sont bien identifiés, et la puissance, c’est-à-dire le choix, offerte par les grosses organisations». Lamartine est certainement une des plus grosses librairies de la place mais on y est comme chez soi, à côté, au rayon papeterie, des très beaux papiers à lettres et des plus belles plumes (dans tous les sens du terme). Un bon moyen de contournement pour commander sur place (mais chut !).

Une recommandation ou plutôt deux : «Ici on demande beaucoup « L’homme en rouge » de Julian Barnes et «L’anomalie» de Hervé Le Tellier » indique Stanislas qui ne se sent pas du tout confiné ni « isolé » au bord du « Lac », cher au poète. Halte au confinement, ouvrons grandes les portes de la librairie Lamartine !

​Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture Tops.

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