
Le chant du prophète
Traduit de l' anglais par Marina Boraso
Publication en Janvier 2025
293 pages
22, 90 euros
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Thème
Le décor épouse les rêves de la classe moyenne : une maison, un jardin, des enfants, au nombre de quatre, un couple équilibré disposant d' une situation matérielle confortable. Larry, le mari, est enseignant et syndicaliste, son épouse Eilish étudie la microbiologie dans un laboratoire pharmaceutique. Bonheur douillet, sans nuages. Un soir de pluie, deux policiers frappent à la porte, ils veulent poser des questions à Larry. Un interrogatoire de routine en apparence, bientôt suivi d' une convocation au commissariat, mais Larry ne revient pas. Autour d' Eilish, d' autres hommes, amis, voisins, disparaissent à leur tour. Répression insidieuse, rampante puis brutale, déjà les derniers garde-fous de l' Etat de droit vacillent, le pays bascule dans la guerre civile.
Faire face, protéger ses enfants, essayer de comprendre, en bonne scientifique Eilish qui croit à l' objectivité, à la pensée rationnelle, voire au bon sens, estime que "cela ne peut arriver ici." Ici dans la verte Irlande, dans cette société libérale exemplaire chérie par les multinationales du numérique. Pourtant le cauchemar est devenu réalité : coupures d' électricité, pénuries alimentaires, marché noir, le vernis de civilisation craquelle et laisse place à la peur, à la méfiance, à la débrouille.
Malgré tout il faut résister. Alors la mère de famille prend les choses en main, avec courage et lucidité, de façon maladroite parfois, elle se cabre, elle dit non, tente de sauver les siens, déjà son fils aîné a rejoint le camp des rebelles, comment dans ses conditions retenir auprès d' elle une famille à la dérive...
Enfin il y a ce vieux père qui perd un peu la tête mais qui, face au chaos, lui donne ce conseil essentiel : “ partez avant qu' il ne soit trop tard”.
Points forts
Un récit haletant, fiévreux qui emporte le lecteur, l' enserre dans ses filets et le catapulte dans cette dystopie aux échos si actuels.
Le portrait intime, bouleversant d'une mère perdue dans le brouillard, héroïne ordinaire et tragique, Eilish, telle la petite fée de Péguy, garde en elle l' espérance.
Quelques réserves
Aucune réserve pour ce roman dont l’écriture de Paul Lynch, en état d’urgence, illustre bien la sentence de Kafka : “Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.”
Encore un mot...
A quel moment faut-il s' exiler pour sauver sa vie et celle de ses proches ? Ce questionnement traverse tout le roman et nous oblige à ouvrir les yeux sur le réel. David Lynch on le sait, a été profondément marqué par le livre visionnaire de Herman Hesse Le Loup des steppes, qui décrit la montée de l' antisémitisme dans l' Allemagne nazie des années 1920.
A cette époque, de jeunes intellectuels français, comme Raymond Aron, se rendent en Allemagne et assistent à des meetings et des autodafés de livres. Certains comprennent ce qui se passe, d' autres restent aveugles. Aron le pacifiste, le "spectateur engagé " revient en France et affirme qu' il faut réarmer, car la guerre est inévitable.
Aveuglement des élites? Pas seulement. Enserrés dans leurs conforts, leurs habitudes, leurs relations sociales ou professionnelles des personnages ordinaires comme Eilish, sont incapables de décrypter la nouvelle ère qui se profile.
Ils ont oublié, comme dit Aron, que l' histoire est tragique.
Une phrase
“Elle se réveille au bruit de la guerre qui surgit comme une visitation divine, un martèlement furieux qui retentit dans son cœur, où se trouve l' interrupteur de la lampe, sa main tapote au hasard, le cordon a basculé derrière la table de chevet. Dehors il n' y a rien à voir, sinon une mouette esseulée au sommet d' une cheminée, emperlée de lumière bleue, et le voile d' une pluie fine.” (page 175)
L'auteur
Paul Lynch, né en 1977, est un écrivain irlandais réputé pour son style poétique et lyrique. Il a publié cinq romans, (dont Un ciel rouge, le matin; La Neige noire; Grace; Au-delà de la mer) qui explorent des thèmes comme l' aliénation, la transcendance, la mémoire ou l' identité.
Le Chant du prophète a été récompensé par le Booker Prize, l' équivalent du Goncourt britannique.
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