Le Voyage dans l’est

Prix Médicis. Une plongée de l’abîme du souvenir …
De
Christine Angot
Editeur : Flammarion
Paru en août 2021
216 pages
19,50€
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Christine Angot a été violée par son père dès ses treize ans, puis pendant de nombreuses années.

L’histoire est bien connue maintenant mais Christine Angot n’en a pas fini avec elle, et nous non plus.

Abandonnée par son père Pierre Angot qui ne l’a pas reconnue, elle le rencontre pour la première fois à treize ans ; c’est le début d’une descente aux enfers. Totalement désemparée et incapable de lutter contre la toute-puissance de cet être dominateur et sûr de lui, Christine Angot rapporte les faits et tente de comprendre. 

Points forts

  • Christine Angot a déjà raconté ce qui lui était arrivé dans plusieurs livres, tout d’abord  à mot couvert puis totalement à découvert dans L’inceste, paru en 1999.
  • Si on croyait tout savoir, l’auteure fait de son histoire le thème central de Le voyage dans l’est. Elle en fait ici un récit clinique d’une étonnante précision, avec lucidité et finesse.
  • Le récit n’est pas seulement sexuel. Ce qui se joue ici, au-delà de la monstruosité de l’acte – ou plutôt des actes tellement ils furent répétés sur une très longue période – c’est la relation père – fille. Comment son père l’a assujettie à sa volonté prédatrice en jouant sur le désir de sa fille d’être reconnue comme telle, satisfaisant les désirs fous de ce père qu’elle retrouvait.
  • L’inceste devient ici esclavage, c’est-à-dire dissolution de la volonté de la personne toute entière dans une relation destructrice dont l’auteure ne peut s’échapper.
  • Le lecteur est sidéré face à cette emprise paternelle. Il en faut du courage à l’auteure pour creuser encore et encore cette blessure qui ne se referme pas, qui a détruit sa vie et ruiné ses illusions de fille, de femme et de mère.
  • L’instrospection – l’autofiction – comme tentative de guérison est menée avec précision comme une tentative sans cesse renouvelée de comprendre la mécanique de l’inceste, de la déconstruire pour tenter de s’en extraire.

Quelques réserves

Christine Angot suscite des sentiments contrastés. « Soit on l’aime, soit on déteste », entend-on souvent. Il est vrai que ce récit pourra mettre certains mal à l’aise devant ce qu’ils pourraient considérer comme « un grand déballage ».

 Il est plus que temps de considérer l’œuvre littéraire de Christine Angot comme une entreprise singulière que sa personnalité et son talent d’écrivain valident pleinement.

Encore un mot...

1977, Serge Doubrovsky invente l'autofiction en publiant Fils. Depuis de nombreux auteurs ont donné à ce genre nouveau ses lettres de noblesse. Christine Angot se situe dans cette lignée d’auteurs qui font de leur vie le sujet de leur œuvre romanesque.

L’écrivain norvégien, Karl Ove Knausgaard l’a récemment porté à son apogée avec les six tomes (et 4 800 pages) de son œuvre monumentale intitulée Mon combat.

Une phrase

-  La construction des arguments est nette. Je m’en souviens parfaitement. Ainsi que de certaines scènes, dialogues. Je peux restituer et réciter par cœur certaines phrases. Je ne pourrais pas imiter les tons de voix, mais je les ai en mémoire. Je peux les décrire. (page 36)

 - J’avais décidé de tout dire à ma mère. J’y ai pensé pendant tout le trajet. Le ciel était bleu. La campagne défilait par la vitre. Ma décision était prise. J’étais déterminée. Le train avançait dans la campagne. C’était clair dans ma tête. (page 75)

- Je ne me faisais pas d’illusion. Je savais que la volonté de mon père s’imposait à moi, que, seule, je ne pouvais pas lutter contre. J’en étais pleinement consciente. Je l’avais compris. Je n’étais pas de taille. C’était trop dur. Je ne faisais pas le poids. Il fallait que je recueille son accord, que je le convainque. Je savais que ce serait difficile ; J’essayais. (page 80)

- Ma vie reprenait. Laquelle ? Celle d’avant ? D’avant mes treize ans ? Celle que j’aurais dû avoir s’il n’y avait pas eu ça ? Là où elle s’était arrêtée ? C’était possible ? Je ne me sentais pas bien. Je me sentais libre. Je ne voyais plus mon père. Ça me faisait du bien. C’était bien. C’était définitif ? Ou est-ce que le temps allait passer, et que j’allais le revoir dans d’autres conditions ? Est-ce que j’avais renoncé à le voir ? (page 104)

L'auteur

Christine Angot est née le 7 février 1959 à Châteauroux. Romancière et dramaturge, elle a conçu une œuvre littéraire dans laquelle elle se raconte à la première personne. Même si elle rejette ce terme d’autofiction, ses récits sont avant tout ceux d’une auteure dont la voix, sans concession, est unique dans le paysage littéraire actuel.

Retenons son ambition littéraire, cet art du souvenir capable de transformer un vécu qui lui est propre en expérience universelle.

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