Mémoricide
Parution le 25 octobre 2024
379 pages
21, 90 €
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Thème
L’auteur, « blessé », selon ses propres termes, par la scène (ou la cène) parodique qui a défrayé la chronique de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques, l’évoque en préambule de son ouvrage, alors qu’il en avait achevé la rédaction ou presque lorsque l'événement est survenu, car il constitue selon lui l’illustration emblématique de son propos. Ce n’est pas tant le blasphème invoqué par certains qu’il conspue que la volonté affichée de rupture d’une société avec son passé deux fois millénaire, dans une expression sacrificielle et accessoirement vulgaire, comme une funeste réminiscence du Satyricon de Pétrone caractérisant la chute de Rome, en bien pire.
A partir de ce constat, les illustrations du propos et l’analyse de leur cause embrassent tout, de l’abandon de la souveraineté qui commence avec celui d’une monnaie à la perte du sens du sacré, seul symbolisme qui puisse fédérer une nation, le dos tourné à une histoire très riche qui naît dans le roman courtois et s'abîme dans les délices du vide, ainsi celui qu’exprime la crémation des morts et l’abandon des cimetières, lieu de mémoire par excellence. Il est bien sûr aussi question de la double renonciation à la famille et à la procréation qui implique ce goût du néant sous la forme d’une démographie déclinante, de l’abandon des campagnes, de ces lieux d’ancrage et de solidarité remplacés par l’anonymat des villes qui se développent sur d’autres modes de relation, souvent suicidaires, favorisant la ghettoïsation et le multiculturalisme qui prend le pas sur l’intégration qui procède à l’inverse de l’adhésion à des valeurs communes.
Et d’évoquer Ernest Lavisse, historien de la IIIème république naissante, qui considérait, après la défaite de Sedan et la chute de l’Empire, qu’il pourvoirait à la disparition du saint-chrême, l’onction des rois et ciment du royaume avec la création du « roman national » pour redonner un élan à la nation meurtrie. En citant les mots de Péguy, ainsi un bel oxymore : « la République, c’est notre royaume de France » ; ou ceux de Fustel de Coulanges qui disait des « peuples qui n’ont plus de légende », qu’ils sont « condamnés à mourir de froid ».
Points forts
- L’explicitation du propos par la multiplication d’exemples concrets, quotidiens, tirés du réel pour lui donner une consistance, à l’école de la République, à Sciences-Po, au Conseil d’Etat, à la Commission Européenne, à l’Assemblée Nationale, dans la presse… Par le récit de ses conversations aussi, des confidences reçues, furtives ou lointaines avec François Mitterrand, avec Jacques Attali, fossoyeur illuminé ou cynique du vieux monde, avec Jack Lang, opportuniste de génie ou plus récentes et si décevantes avec Emmanuel Macron qu’il analyse comme un enfant, sincère mais jamais plus de cinq minutes, oublieux de ses emballements et trop amoureux de lui-même ; dans un tout autre genre, avec Soljenitsyne bien sûr, qu’il a fait venir au Puy du Fou ; autant de références qui n’exonéreront pas l’auteur des procès en déclinisme et en complotisme auxquels il se dit assigné arbitrairement depuis le premier jour de sa vie publique, mais qui lui donnent des arguments solides.
- La passion qui anime l’auteur, celle qui donne toujours un souffle romanesque à ses ouvrages, plus forte que le raisonnement.
- Le titre Mémoricide dont l’auteur dit qu’il est à une nation ce que le génocide est à un peuple. Un titre grave, pour interpeller le lecteur qu’il croit menacé de mort !
Quelques réserves
Une réserve ou plutôt deux, la répétition et la confusion des genres. Le souffle romanesque de l’homme du Puy du Fou se suffit à lui-même, il exalte et c’est son but. Le vieux procès qu’il fait dans ce contexte aux pères de l’Europe, Robert Schuman ou Jean Monnet, ainsi leur asservissement aux Américains, n’ajoute pas grand-chose. D’autant que d’un livre sur l’autre, à la manière de Giesbert, on croit quelquefois lire un peu la même chose. Ce Mémoricide hésite un peu entre deux genres, le roman épique et l’obsession phobique européenne et administrative et l’auteur est meilleur dans le premier.
Encore un mot...
Philippe de Villiers est un homme de conviction, passionné tant dans ses actes que dans ses livres. Ses entreprises l’expriment en effet, le Puy du Fou et le Vendée-Globe, pour ne citer que les plus connues des réussites exemplaires qui tiennent à une énergie, une volonté, un charisme et sans doute une mission. Le livre s’inscrit dans ce contexte, il est peut-être plus que les autres, messianique. Avec le Puy du Fou, il était question de redonner confiance à un peuple meurtri par les Guerres de Vendée menées par la Révolution, de passer outre la polémique et le ressentiment pour fédérer un pays sur un projet transcendantal, redresser la tête ! Aujourd’hui, avec ce livre, il est question de redonner confiance à la nation française toute entière, c’est l’ambition affichée, de susciter des émules, des vocations pour lui permettre de se réapproprier son histoire ancestrale en lui rappelant l’essentiel, savoir qu’elle ne survivra pas en tournant le dos à son passé.
C’est évidemment un livre militant auquel on adhère ou pas mais dont on ne peut pas dire qu’il est vide de sens ou de références : toute la littérature y est invitée, Rimbaud, Verlaine, Péguy, Hugo, les héros de notre histoire du XXème siècle aussi, De Gaulle bien sûr et deux Vendéens célèbres, Clemenceau et le maréchal de Lattre de Tassigny, autant de figures emblématiques qui n’ont jamais renoncé. Il sera sans doute intéressant de lire dans la foulée un autre auteur qualifié de décliniste lui aussi, sur des thèmes plus économiques que historiques, Nicolas Baverez qui vient de publier le Sursaut, car comme Villiers, il l’appelle de ses vœux et en croit les Français très capables. Au-delà du constat accablant, une note d’espoir !
Une phrase
Politique : « La souveraineté européenne est une chimère. Faute de peuple européen, cette sémantique de contrebande n’est rien d’autre que le faux nez d’une gouvernance sans peuple, d’une technocratie de marché au service d’intérêts mondialisés. Le mot « souveraineté » était en déshérence.» (page 261)
Poétique : « La cascade d’eau vive et d’herbes folles s’arrête de chanter. Le pacte nuptial de l’homme et de la terre est brisé. C’est un traumatisme ; je me dis en moi-même : « Un jour, je rendrai les honneurs au chardonneret perdu. » (page 137)
Entre les deux : « Quand on perd le sens de l’ouvrage, on perd le sens du travail. Et quand on perd le sens du travail, on en perd le goût. » (page 200)
L'auteur
Vendéen d’adoption et pas d’origine comme on pourrait le croire, Philippe de Villiers « monte » à Paris après des études de droit à Nantes pour entrer à Sciences-Po et enchainer avec le concours de l’ENA qu’il intègre en 1972, dans la promotion Pierre Mendès-France. Sorti dans la Préfectorale, il sera chef de cabinet du Préfet en Charente-Maritime, puis Sous-Préfet de Vendôme avant de se mettre en disponibilité en 1981 avec l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Il se lance très vite dans la conception et la mise en œuvre de la « cinéscénie » du Puy du Fou qui va devenir le plus grand spectacle vivant en France et connaître depuis plus de quarante ans un succès considérable. A l’origine du Vendée-Globe, il entre en politique en se faisant élire successivement conseiller général, député national puis député européen, Président du Conseil général de Vendée. Il sera nommé Secrétaire d’Etat à la Culture (1986) sous le gouvernement de Jacques Chirac sous la première cohabitation et s’illustrera surtout en politique par ses campagnes du « Non à Maastricht » menées avec Charles Pasqua et Philippe Seguin.
Aujourd’hui, il a pris un peu de distance avec la politique et se consacre à l’écriture sur les thèmes qui lui sont chers, la Vendée, les rois de France, l’Europe… Sur une quarantaine de titres publiés, on peut citer Pour l'Europe contre Maastricht : Livre blanc sur le projet de Traité de Maastricht et sur l'avenir de l'Europe, Vendée éditions, 1992, Notre Europe sans Maastricht, Albin Michel, 1992, L'Aventure du Puy du Fou : Entretiens avec Michel Chamard, Albin Michel, 1998 (1re éd. 1997), Les Turqueries du grand mamamouchi, Albin Michel, 2004, Le Roman de Charette, Paris, Albin Michel, 2012, Le Roman du Roi Soleil, Paris, Litos, 2024, avec quelques prix à la clef et d’excellents tirages.
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