S’en aller

Une promenade érudite sur le thème du départ, qui n’est pas la fuite mais plutôt l’aventure
De
François Sureau
Gallimard
parution le 14 mars 2024
282 pages
21 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Le livre de François Sureau n’est ni un roman, ni un essai, ni une autobiographie mais plutôt, si tant est qu’il doive être précisément défini, une déambulation dans la littérature, l’histoire et les épisodes de sa propre vie, le tout sans autre fil conducteur que le thème donné par le titre : S’en aller. Il s’agit donc d’un florilège de citations et d’anecdotes qui finissent par dresser un portrait en creux de l’auteur qui semble toujours avoir été habité par le désir de partir.

Sont donc convoqués de nombreux personnages qui ont partagé ce désir, qui n’est pas celui de la fuite mais plutôt de l’aventure, pour des raisons très diverses. On y croise ainsi Victor Hugo et l’exil politique, Pierre Loti et sa recherche de l’exotisme comme thérapie à ses démons intimes, Rimbaud bien sûr mais aussi Kim Philby (la trahison), et des illustres inconnus : Jacques Lebaudy (autoproclamé empereur du Sahara), Victor Jacquemont (espoir des Lettres tombé dans l’oubli) et même des créations de fiction (Arsène Lupin).

Le tout cohabite avec un éloge de la Légion Étrangère, de la retraite dans les monastères et même de la lecture du Journal Officiel… C’est aussi mine de rien un précis de philosophie dans le sens d’un éloge du libre arbitre, du refus de suivre le chemin qui nous serait prédestiné et de l’ouverture au monde.

Points forts

  • D’abord le style, brillant : on sait encore écrire à l’Académie ! A commencer par les titres des chapitres ; François Sureau reprend un usage un peu démodé, qui était celui des Mémoires d’Outre-Tombe, excusez du peu, consistant à annoncer les thèmes à venir, ce qui donne ici un savoureux inventaire du coq à l’âne où cohabitent idées et personnages rarement voisins. Que l’on en juge au hasard par le chapitre VII :
    “Le voyage immobile. Où, des années plus tard, les voyages de classe révèlent leurs secrets. Les mystères du Quercy valent ceux de l’Ouest. « Une rose impossible dans la nuit ». André Breton à Saint-Cirq. L’abîme de Padirac. Huysmans autour de sa chambre. La conversion de des Esseintes. Je vous déconseille la recette de la tartine Garambois. Jésuites, monde moderne, monastères. Du préfet considéré comme un romanichel. Tristesse de la politique. Sainte Anne de Kergonan. Le cimetière du curé d’Uruffe. La Semaine sainte dans tous ses états.”

  • Sur le fond, la lecture de ces pages s’avère un moyen d’affermir sa culture générale : l’on découvre l’existence d’auteurs inconnus ou oubliés, et même pour ceux que l’on croit connaître, l’approche est toujours originale et instructive. 

  • Se retrouver moins bête à l’issue de sa lecture, et entretemps y avoir pris du plaisir, quelle meilleure définition de la littérature ?

Quelques réserves

On dit qu’à la différence de Mozart dont l’œuvre est immédiatement accessible, Robert Schumann serait un « musicien pour musiciens » ; entendons par là qu’il faudrait pour l’apprécier disposer d’un bagage technique préalable. François Sureau est peut-être en ce sens un « écrivain pour écrivains » tant il est vrai que la multitude des références culturelles peut rebuter au premier abord. Comme Stendhal qui destinait son œuvre aux happy few, François Sureau ne prétend pas flatter le public en lui servant un plat insipide et convenu, et il manifeste une constante exigence aux antipodes de la démagogie. Pour autant, il ne faut pas se décourager et il convient d’entrer dans ce livre où l’érudition, réelle, n’est jamais pesante.

Encore un mot...

L’auteur n’est jamais meilleur que dans ses formules assassines qui surgissent au fil des pages, à des moments où on ne les attend pas, entre deux références littéraires ou historiques (l’extrait ci-dessous en donne un bon exemple).

Ce parcours en apparence décousu est donc un moyen pour l’auteur de reprendre les thèmes qui lui sont chers et qui lui valent aujourd’hui une certaine notoriété : la détestation de l’Etat providence qui abêtit le citoyen sous prétexte de le protéger, la défiance (le mot est faible) pour la politique telle qu’elle se pratique, le refus de l’embrigadement et la défense de la liberté sous toutes ses formes.

Une phrase

« J’ai longtemps cru que les autres étaient meilleurs que moi, juges, avocats, gouvernants, hommes d’affaires. Il n’en était rien et nous nous valons tous, une génération après l’autre, sans que la jeunesse ou l’âge ne sauvent personne. Les jeunes politiciens de ce temps apparaissent déjà monstrueux au sortir du berceau, ravagés par une ambition de vieillards, avec ces faces de sauvés où la démence affleure, où les traits éphémères de l’enfance bougent au gré de la mécanique du désir de plaire, et dont le calcul semble occuper tout l’espace du cœur que la pure jouissance d’être soi n’a pas déjà saisi. » (p.89)

L'auteur

François Sureau nous rappelle certaines personnalités d’un passé récent, l’on pense notamment à son confrère académicien Jean-François Deniau. Même origine sociale bourgeoise, même parcours au sein des institutions : l’aîné ambassadeur, député, ministre, mais capable de descendre toréer dans l’arène ou de traverser à la voile l’Atlantique après un triple pontage coronarien ; le cadet énarque, haut fonctionnaire, puis homme d’affaires, colonel de réserve et pour finir avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, conseil de François Fillon puis d’Emmanuel Macron avant de devenir un des plus durs contempteurs du gouvernement…

Ces contradictions assumées que certains peuvent lui reprocher ne sont-elles pas au fond la marque d’un esprit libre ? 

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