UN AN DANS LA FORÊT

Un récit de guerre et d’amour, dans l’ombre de Blaise Cendrars
De
François Sureau
Gallimard,
Parution en novembre 2011
92 pages
12,50 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

1938. Blaise Cendrars est un écrivain aussi célèbre que torturé. L’auteur de Moravagine, L’or et La prose du Transsibérien a cinquante-et-un an, une vie cabossée au cours de laquelle il s’est engagé dans l’armée dès les premiers jours de la Grande Guerre, voulant “moins faire son devoir qu’aller jusqu’au bout de lui-même, violence incluse”. Ayant perdu une main au front en 1915, puis son inspiration, une fiancée qu’il a aimée à se perdre et ses dernières illusions, il fait une rencontre qui bouleverse sa vie. La jeune femme qu’on lui présente s’appelle Elisabeth Prévost. Elle a vingt-sept ans, voyage seule, vit avec une liberté incroyable pour son époque, est une tête brûlée cassant les codes avec un naturel désarmant, forte d’une enfance vouée à la chasse au sanglier auprès d’un père qui l’a toujours “traitée de pair à compagnon” et “lui offrit un fusil en guise de cadeau de première communion”. Elle voyage, écrit avec talent, sans pour autant recueillir la reconnaissance qu’elle mérite. Un amour naît entre ces deux écrivains, l’un voyant en l’autre à la fois son contraire et son double, à travers les différences criantes qu’il y a entre eux et la farouche liberté qui les unit.

Ces deux personnages sont évoqués dans ce récit à la première personne par le narrateur, qui s’est aussi engagé dans l’armée, après avoir pris son poste d’aspirant appelé à Sedan en 1978. Comme Cendrars et d’autres qui affectionnent le mystère plus que la certitude, les maquisards plus que l’ordre, il aime à se perdre dans des manœuvres parfois improbables au cœur de la forêt des Ardennes. Son récit est celui d’une fascination pour Blaise Cendrars, mais peut-être plus encore pour Elisabeth Prévost, cette femme que, contrairement à d’autres écrivains, il aurait aimé rencontrer. Son histoire tisse des liens entre les époques, brossant le portrait d’une femme insaisissable et fantasque que le lecteur aura envie, à son tour, de connaître.

Points forts

  • Ce qui est peut-être le plus plaisant, dans ce récit assez court qui ne comporte aucun chapitre, est probablement la liberté de la narration, cette absence apparente de plan ou de démonstration qui marque l’écriture. Il semble qu’il s’agisse d’une confidence, sorte de monologue improvisé où se mêlent des impressions sur la forêt, ce qu’elle représente ou symbolise, des anecdotes militaires, une déclaration d’amour à l’héroïne, aux Ardennes ou à la Légion étrangère, celle-ci étant faite avec cette sorte de rudesse qui rappelle la pudeur virile des militaires si bien croquée par Marcel Proust. Ce livre est empreint d’humour, de poésie, d’histoire, de politique, et donne pourtant une impression de fluidité saisissante. On ne s’ennuie pas un instant à sa lecture et on dévore ce texte savoureux, non pas sans s'interroger (les deux personnages centraux sont tous deux obscurs et fascinants), mais avec un plaisir qu’aucune rigidité de forme ne vient parasiter.
  • Une découverte de taille, dans ce texte, est incontestablement celle d’Elisabeth Prévost, un personnage haut en couleur et improbable dont on ne connaît que peu de choses. Ce portrait qui lui est dédié, toujours paradoxal et dans l’ombre de Blaise Cendrars, l’écrivain célèbre qui fut son amant, ne manquera pas de donner au lecteur des informations inédites, notamment sur sa nouvelle Les Carottes au Plaza, laquelle “raconte à la première personne l’aventure d’une femme qui, après la faillite de sa compagnie de production cinématographique, se voit confier la mission d’importer en Espagne une race de lapins français, mission que, d’absurdités en absurdités, elle finit par mener à bien”, et qui ne pourra que susciter la plus vive des curiosités. Plus profondément, l’auteur parvient à faire revivre un auteur oublié, qui revit à travers ses lignes en un hommage vibrant. Si l’objet d’un livre est d’élargir l’esprit de son lecteur et de lui ouvrir des horizons inconnus, voilà, avec ce texte, une mission réussie.
  • La façon dont l’auteur traite de l’armée est assez remarquable (ce qu’il avait fait dans l’un de ses précédents livres Ma vie avec Apollinaire) et sa façon d’y décrypter le paradoxe d’une anarchie prenant forme dans cette institution qui, précisément, est censée incarner la loi, la rigidité, l’ordre, est incroyablement juste. On admirera notamment sa façon de parler des légendes qui façonnent l’esprit militaire et de son amour des codes qui, en venant contredire la loi, parviennent à créer un autre monde, lequel, en dépit des apparences, est résolument romantique et fantasque.

Quelques réserves

Le livre doit se lire comme une somme de souvenirs, d’anecdotes (dont il est dit parfois, sans artifice, qu’il y manque des sources), des impressions disséminées çà et là, sans qu’il y ait vraiment de thèse. Mais il pourra laisser quelques lecteurs sur leur faim, s’ils s’attendaient à des révélations définitives.

Encore un mot...

Un livre très plaisant, ayant un caractère dépaysant et instructif, et qui permet de découvrir un personnage féminin atypique et passionnant.

Une phrase

«J’ai aimé la Légion étrangère. Je n’en ferai pas un plat. C’est de tous les milieux humains que j’ai traversés celui qui m’a le plus retenu. Je ne m’y suis pas plus entièrement senti chez moi que dans les autres. Mais c’était sa nature même, d’être un asile pour ceux que la fatalité avait exilés, loin de leur pays, d’une famille ou d’eux-mêmes ; sans que l’origine ne compte plus, l’exil faisant disparaître les différences. Il y avait là-dedans toutes les nationalités de la terre, et les Français n’étaient pas les moins étrangers. J’ai près de moi, en écrivant, un écusson frappé de l’« emblème apatride de la grenade à sept flammes », celui que Cendrars a porté à ses revers. Quand j’y servais, le commandement avait fait réaliser une affiche de recrutement qui reste la plus belle à mes yeux. On y lisait simplement, et c’était le titre d’un recueil de ses poèmes : « Là où bat le cœur du monde ». Les volontaires signaient leur engagement dans la salle d’honneur, sous les portraits des anciens, où l’on voyait Cendrars, Cole Porter, Hans Hartung ou Nicolas de Staël. À la Légion, la question « que vaut un homme ? » reçoit une réponse qui ne s’attache pas aux apparences, ni d’ailleurs au passé, et ces photographies en étaient plus émouvantes, parce qu’elles faisaient ressortir, comme dans un tableau, l’art sur l’arrière-plan, le fond du courage ; un courage qui d’ailleurs ne se présume chez personne et ne peut jamais être réputé acquis ». p.29

L'auteur

François Sureau, né en 1957, est membre de l’Académie Française, où il a été élu le 15 octobre 2020, au fauteuil de Max Gallo, et reçu le 3 mars 2022 par Michel Zink. Il a notamment étudié à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’ENA. Dans les années 1980, il a été membre du Conseil d’État, période qui lui a inspiré son récit Le Chemin des morts (Gallimard,2013).

Il a ensuite exercé la profession d’avocat, notamment au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, et cofondé l’association Pierre Claver, qui vient en aide aux réfugiés. Il a écrit de nombreuses chroniques littéraires dans La Croix, et publié des essais, des tribunes, des romans et des poèmes.

Il a fait paraître, en tout, une trentaine d’ouvrages, dont L’Infortune (1990), L’obéissance (2007), Inigo (2010), Sans bruit sans trace (2011), Je ne pense plus voyager (2016), Sans la Liberté (2019), L’Or du temps (2020) et Ma vie avec Apollinaire (2021).

 

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