Le nageur

La véridique leçon de vie d'un champion exceptionnel, rescapé des camps de concentration
De
Pierre Assouline
Gallimard
Parution en mars 2023
243 pages
20 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Au début des années 1930, Alfred Nakache se révèle un nageur averti, au talent prometteur. A Constantine, d’où il est né au sein d'une famille de confession juive, en Algérie encore Française, puis à Paris et à Toulouse, il s'entraîne sans relâche, se fait remarquer des entraîneurs. Et s'impose avec un style que l'on pourrait qualifier de novateur et non conventionnel, devenant champion de France, d'Europe dans ce qui est encore la discipline unique de la nage "libre". Il se fait un surnom - Artem - le poisson - et inscrit à son palmarès entre 1936 et 1942 plusieurs records du monde et d'Europe, en particulier en relais et en brasse papillon, qu'il contribue à imposer comme technique de nage.

L'histoire serait simple et belle si elle ne s'inscrivait pas dans l'Europe de la fin des années 30, dont l'antisémitisme va atteindre Alfred Nakache. Avec l'équipe de France, il va devancer l'Allemagne aux Jeux Olympiques de Berlin. Avec les jalousies de la rivalité, il va se faire des ennemis et des détracteurs. Le Nageur raconte plus particulièrement cette période de la vie de l'athlète, de son insouciance à sa déportation à Auschwitz puis Buchenwald, le rôle de ses amis et de ses rivaux, dont Jacques Cartonnet en particulier à qui l'on impute sa dénonciation et sa déportation avec sa femme et sa fille. Mais "le nageur d'Auschwitz" reviendra des camps de la mort et le travail patient de son entraîneur le fera revenir sur les podiums, confirmant une force de caractère et un destin exceptionnels. Alfred Nakache sera le seul athlète français survivant des camps, sélectionné à nouveau pour les JO de 1948.

Points forts

Sous la plume inspirée et élégante de Pierre Assouline, le récit de la vie d'Alfred Nakache révèle sa force d'exemplarité. 

Sans sous estimer l'intérêt du reste du récit, Pierre Assouline rend compte de façon détaillée de la période de montée de l'antisémitisme dans le milieu du sport français, ses acteurs, mais aussi ses "résistants", qu'ils soient dans la clandestinité, ou en poste sous Vichy, comme Jean Borotra. 

La vie d'Alfred Nakache dans les camps est aussi précisément décrite, révélant le quotidien des "survivants", et la clef probable de sa survie, outre sa condition physique exceptionnelle avant son arrestation, reconnu par un officier Allemand, et affecté à l'infirmerie du camp d'Auschwitz.

Dans les derniers chapitres, plus courts, sa vie d'après est aussi "racontée", témoignant avec pudeur et vérité, de la difficulté d'être "survivant", de ne pas vouloir être entendu sur ce qu'une génération voulait oublier au plus vite, de la difficulté à trouver du sens au présent autant qu'à l'avenir.

A noter enfin, une abondante bibliographie, à parcourir pour mesurer le travail de recherche entrepris par Pierre Assouline pour concevoir et écrire ce roman qui n'en est pas tout à fait un.

Quelques réserves

Pas de réserve sur ce "récit de vie" qui vous fait plonger au cœur du sport français de haut niveau des années 30 à la fin des années 50.

Encore un mot...

Le Nageur est le récit du destin d'un homme qui n'a jamais prétendu vouloir devenir et être exceptionnel. Du haut des podiums comme au plus près de l'abjection humaine, Pierre Assouline dresse le portrait intime d'un homme confiant, simple et pudique, qui restera peut être plus meurtri par la perte de sa femme et de sa fille que par les humiliations et mauvais traitements reçus dans les camps. S'il fallait donner un exemple de ce qu'est la "résilience", la vie d'Alfred Nakache en serait sans doute une "belle" et simple illustration. Dans ces pages, Assouline, qui se penche à nouveau dans ce récit sur la période de l'Occupation, a le mérite de ne pas avoir fait "d'Artem" ce qu'il n'était pas, un héros fier de son rang, un champion survivant et sur-vitaminé, un stéréotype pour grand spectacle. Il fut sans doute brillant sans vouloir éblouir ; ce roman nous apprend qu'il le fut certes en natation, mais aussi en humanité comme en humilité. 

En hommage à sa mémoire, un certain nombre de bassins de nage portent depuis des décennies son nom en France. Avant Assouline, Renaud Leblond avec Le nageur d'Auschwitz et Marc Elya avec la pièce de théâtre Sélectionné, L’incroyable destin du nageur d’Auschwitz, Alfred Nakache ont écrit sur ce parcours exceptionnel. Un destin à recommander à la lecture de tous les jeunes de 9 à 99 ans !

Une phrase

"Un nageur, c'est d'abord un corps. Ce qu'on voit, ce qu'on sait, ce qu'on retient de lui avant toute chose. On en saura toujours plus sur le corps que sur l'âme." P 32

"La mémoire du corps est effrayante. Il n'oublie rien. Le corps du nageur est couturé de ses triomphes ; celui du déporté est scarifié de ses victoires contre la haine faite homme. Le corps se souvient longtemps après quand l'esprit, lui, est paralysé par l'angoisse. La solidarité des Dauphins du TOEC [Club emblématique de Toulouse NDLR], qui lui avait déjà mis du baume au cœur à l'été 1943, l'aide à revenir à la surface, de même que le soutien sans faille de la famille Jany." P. 22é

L'auteur

Pierre Assouline est autant journaliste qu'écrivain, animateur d'un blog réputé - La République des livres, sur l'actualité littéraire. Ancien élève du lycée Janson de Sailly à Paris, comme le fut Alfred Nakache pour entamer une formation de professeur de sport; Il est surtout connu pour ses romans et biographies (Double vie, Luttai), des œuvres à fort contenu historique. Il a reçu de nombreux prix, dont le prix de l'essai de l'Académie Française en 1989 pour sa biographie d'Albert Londres, et en 2007, Le prix de la langue française, pour rendre hommage à la qualité de son écriture. Il est aussi membre de l'Académie Goncourt.

D’autres titres de Pierre Assouline, sur Culture-Tops :
- Tu seras une homme mon fils

- Le paquebot

 

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